La fumure de poulet dans les plantations de cacao de Côte d'Ivoire. Une révolution agroécologique et sociale, une innovation villageoise " frugale ".
Depuis 2011, une partie de l’Industrie, poussée par IDH (structure parapublique hollandaise dont la mission est d’optimiser les efforts conjoints des secteurs publics et privés sur plusieurs filières), s’intéresse de plus en plus à l’engrais tout en se posant des questions pertinentes (quels engrais pour quels sols ? Quels modes d’application ?) mais ce réveil des multinationales du chocolat sur les engrais affiche bien du retard sur les villageois pionniers de la « boucle du cacao » à Soubré en Côte d’Ivoire. Or, précisément au moment où l’industrie prend le train de l’engrais chimique, l’agriculture familiale amorce une diversification de ses stratégies de fertilisation, vers des intrants de plus en plus biologiques.
Une innovation nait notamment dans les années 2000, prenant une ampleur considérable dans les années 2010 : la fertilisation des cacaoyères par application de fiente de poulet, objet d’une véritable nouvelle filière. Pourquoi cette innovation ? Pourquoi son amorce dans les années 2000 et sa phase exponentielle dans les années 2010 ? Quatre hypothèses imbriquées sont testées.
- La première est celle de « l’innovation frugale » : les planteurs préfèreraient utiliser l’engrais chimique mais les contraintes financières les amènent à se rabattre sur un engrais organique « fiente de poulet », moins cher. Au-delà du problème financier, certains espèrent faire mieux avec ce « moins », ce qui conforterait l’idée d’innovation frugale mais introduirait aussi une hypothèse concomitante, celle d’une invention ou révolution agroécologique : sous certaines conditions, les planteurs découvriraient et diffuseraient une technique d’intensification agroécologique peut-être très efficace et plus durable que la voie chimique ?
- La troisième hypothèse est celle d’un réseau de planteurs migrants jouant un rôle majeur dans l’innovation notamment parce qu’ils ont un accès privilégié à l’information sur plusieurs espaces économiques, et par des réseaux très efficaces pour diffuser l’information.
Enfin, dans le contexte politique traversé par la Côte d’Ivoire, alors que son économie renoue avec la croissance, alors que l’Industrie du chocolat intervient de plus en plus massivement auprès des planteurs et des coopératives, vient une quatrième hypothèse, celle d’un impact direct ou indirect des politiques publiques et/ou du secteur privé. L’analyse s’appuie sur plusieurs enquêtes, en 2007 (800 exploitations cacaoyères dans une étude pour le compte de l’Union Européenne), en 2012 auprès de 145 exploitations, spécifiquement sur la fertilisation des cacaoyères, et un suivi d’exploitations depuis 2013 (140 exploitations dans un programme conjoint « Initiative engrais » avec IDH) en passant par des observations plus locales dans diverses régions de Côte d’Ivoire.
Malgré des points en suspens et des démonstrations plus quantitatives en attente, les trois grandes hypothèses pour caractériser ce boom, « Innovation frugale » liée au marché, « intensification agroécologique associée à un changement social», « innovation de réseaux de migration » sont validées. Ainsi, selon les planteurs, les cacaoyers répondent plus vite à fiente de poulet qu’à l’engrais chimique. Des gains de rendements d’au moins 30% sur un an, bien répartis sur l’année, sont évoqués. Des tests en station et des recherches participatives dans les villages sont urgents. La quatrième hypothèse sur le rôle des politiques publiques trouve une réponse dans les investissements de l’Etat dans la réhabilitation des routes et des pistes. Ce constat illustre l’adage de Louis Malassis, professeur d’Economie agricole dans les années 1970/80: « Il n’y a pas de solution agricole aux problèmes de l’agriculture ». L’idée serait de laisser les agriculteurs s’occuper de l’agriculture et les aider en priorité sur leur environnement. De fait, à côté de la fiente de poulet, la Côte d’Ivoire connait un véritable foisonnement d’initiatives et d’innovations sur toutes formes de fumure organique : fumier de bovins, moutons, déchets de porcs, mais aussi déchets domestiques. On a même identifié 2% de cas de récupération dans les latrines des villages.
La toute dernière innovation repérée est celle de cendres de rafles de palmiers, peut-être en plein essor. Et ce foisonnement d’innovations paysannes ne concerne pas seulement la fertilisation. Dans tous les pays, les innovations agricoles passent très souvent par les réseaux villageois, en dehors des institutions du développement. Pour tous les décideurs et développeurs des secteurs publics et privés, il est une réalité quasi universelle difficile à accepter : par leurs innovations et leurs adaptations aux changements d’environnements économiques et écologiques, les agriculteurs villageois sont souvent en avance sur les institutions publiques, les multinationales, les ONG internationales. Dans cette économie de plantation ivoirienne en profonde mutation, le monde dit du développement durable, tant public que privé, fournit un réel effort mais n’a t-il pas encore de quoi méditer sur ses trains en retard ?